LAVAGGIO VETRINA

Installation, Charles H. Scott Gallery, Vancouver, 2006
 
En 1998, alors jeune étudiant-artiste en échange à l' Académie de Brera à Milan, je me suis inspiré de la relation que nouent entre eux les automobilistes et les laveurs de pare-brise itinérants, pour la transposer dans le monde de l'art. C'est ainsi que j'ai lavé les nombreuses vitrines des galeries d'art contemporain de la ville. Poli mais déterminé, je «forçais» les galeristes à accepter ce service. Cette action avait un double objectif : d'une part, délimiter mon « champ d'action » artistique (les frontières du monde de l'art que symbolisaient les vitrines des galeries commerciales), et d'autre part m'y représenter à l'oeuvre, c'est-à-dire dans une âpre négociation avec le maître des lieux. En jouant sur l'ambiguïté entourant la notion de travail (lavage de vitrine ou élaboration d'une oeuvre d'art), je demandais à celui que je considérais alors comme seul dépositaire de la légitimité artistique, de me laisser travailler . Cette action, bien que documentée en vidéo n'a laissé que peu de traces sinon dans le récit que j'en fais quand j'ai l'occasion de présenter mon travail.
 
 
En 2005, la commissaire d'exposition Cate Rimmer, à qui j'avais raconté cette histoire, m'a demandé d'en faire état au cours de l'exposition Pardon ! qu'elle préparait pour le Centre Saidye Bronfman de Montréal en 2005 et la Charles S. Scott Gallery de Vancouver en 2006. Immédiatement s'est posée la question de la forme que devait prendre mon récit pour intégrer un type de présentation muséale. Qui plus est, le propos même de l'oeuvre était menacé : ce travail, représentant l'artiste à l'extérieur du monde de l'art, me l'était désormais demandé de l'intérieur de celui-ci. Je ne pouvais plus prétendre être celui que j'étais, ni faire entendre ma voix de l'extérieur. Il me fallait repenser le dispositif en y intégrant les nouvelles données, tout en en respectant les anciennes qui m'avaient valu, justement, cette invitation. J'ai donc donné une représentation de l' ancien moi , dans une boule à neige. Ce bibelot-souvenir montre la distance du temps et fige le jeune Clément de Gaulejac de 1998 à l'extérieur de l'espace de la galerie, tandis que celui de 2005 s'agite et colle sur les vitrines intérieures du centre d'art des affiches qui racontent par le texte et le dessin l'action de 1998. Ainsi l'histoire d'un lavage recouvre les vitrines, le récit d'une transparence les opacifie. Cette opération paradoxale me permet de m'installer sur une frontière dialectique, entre le bord intérieur et le bord extérieur de l'espace artistique.
 
Performance, Centre Saydie Bronfman, Montréal, 2005
 
Performance, Charles H. Scott Gallery, Vancouver, 2006
 
Installation, Centre Saydie Bronfman, Montréal, 2005