LAVAGGIO VETRINA 1998
 
Je parcours la ville (1) , équipé d'un seau, d'éponges et d'une raclette (2) , en proposant mes services aux galeries d'art contemporain (3) .
 
La procédure -- toujours la même -- est la suivante : arrivé devant la galerie, je me prépare à en laver la vitrine (4) . Le galeriste, alerté par mes gesticulations, sort sur le perron. Je lui demande si je peux laver sa vitrine. Il me répond que non, la vitrine est propre et par ailleurs ce service est déjà organisé, on n'a pas besoin de moi. J'explique que je ne lui demande pas d'argent, mais juste qu'il me laisse travailler sur sa vitrine. Il refuse. J'argumente que si lui n'a pas besoin de moi, moi j'ai besoin de lui. Il refuse. Poli, mais obstiné j'insiste : je suis un jeune artiste aux frontières de l'art contemporain, je lui demande d'emprunter la porte dont il est le gardien, que lui en coûte-t-il ? Etc.
 
   
Les négociations sont plus ou moins longues. Certaines se soldent par un refus, d'autres aboutissent et je lave. Certains galeristes flairent le geste d'art contemporain ou repèrent mon complice et sa caméra cachée. Ceux-là acceptent d'emblée, s'étonnant seulement que ma tâche accomplie, je ne sorte pas mon porte-folio pour leur présenter d'autres travaux.
 
   
(1) En 1998, j'ai résidé trois mois à Milan, pour un séjour d'étude à l'Accademia di belle arti di Brera. J'ai arpenté la ville de long en large. J'ai surtout longé des façades n'ayant pas accès aux cours d'immeuble réservées à celui qui peut justifier d'une bonne raison auprès des concierges pour en franchir les limites. L'étranger s'épuise en longues traversées, longe des murs, se cogne sur des portes fermées et suppose qu'elles protègent des trésors.
   
   
(2) Comme dans la plupart des grandes villes, les carrefours de Milan sont le théâtre d'un conflit exemplaire mettant en vedette le laveur de carreaux et l'automobiliste. Le laveur de carreaux s'approche d'une voiture arrêtée à un feu rouge. Affichant un maximum de détermination, il considère à juste titre qu'en tant que laveur de pare-brises, il doit laver des pare-brises. L'automobiliste s'oppose à ce projet : ses pares-brises sont lavés à tous les carrefours. Il doit user de dissuasion à l'encontre du laveur. Il considère à juste titre qu'il fait laver sa voiture quand bon lui semble.
   
   
(3) Le jeune artiste doit établir une stratégie pour se faire connaître, pour imposer son travail dans le champ de l'art. Mais cette ambition obstinée ne va pas sans craintes ni sans doutes. La contradiction au coeur de ce projet lui fait prendre la forme d'un forfait du bien : un service que j'impose plutôt qu'un travail que je propose.
   
   
(4) Les vitrines des galeries laissent passer les regards, mais pas les corps. Ce sont des frontières invisibles. Je me propose d'agir sur ces frontières de là où je suis, de l'extérieur. Les vitrines peuvent être cassées ou bien lavées. Casser est une provocation source de conflit, laver est un service. Ces deux options sont en principe opposées mais le service peut se passer de l'accord de celui à qui on le destine générant ainsi une zone de frottement entre deux raisons sociales (le laveur de carreaux et l'automobiliste vivent ce type de conflit).
   
   
 
Voir aussi : Lavaggio vetrina 2005  
Voir aussi : Vitrines